Le bracelet d'Asikli Höyük
Le bracelet d'Asikli Höyük : un incroyable polissage vieux de 10 000 ans
L'étude de la surface d'un bracelet néolithique découvert en Turquie a révélé que les artisans du VIIIe millénaire avant notre ère polissaient l'obsidienne avec une grande technicité.
En 1995, un fragment de bracelet en obsidienne verte polie à la main datant du VIIIe
millénaire avant notre ère était mis au jour en Cappadoce dans le
village néolithique d’Asikli Höyük (Aşıklı Höyük) fouillé par
l’Université d’Istanbul. C'est le plus ancien bracelet en obsidienne
connu à ce jour. L'archéologue Laurence Astruc, de l'Institut français
d'études anatoliennes d'Istanbul (CNRS) et le physicien Roberto Vargiolu
et ses collègues du Laboratoire de tribologie et de dynamique des
systèmes (CNRS, École centrale de Lyon, École nationale d'ingénieurs de
St-Étienne) viennent de montrer que la maîtrise des artisans qui ont
réalisé et poli ce bracelet vaut celle de l'industrie mécanique de
pointe actuelle.
Asikli Höyük est un village de paysans au tout début du Néolithique
(Néolithique précéramique). Ses premières maisons en briques crues
(mélange d'argile, d'eau et de débris végétaux) ont été construites par
un groupe humain qui subsistait de la cueillette, mais aussi, dans une
certaine mesure, de la culture de plantes domestiquées (céréales et
légumes). Les habitants chassaient des espèces sauvages (notamment des
chèvres), sur lesquelles ils exerçaient toutefois une forme de contrôle
s'apparentant à une protodomestication. Ils utilisaient des armes et des
outils dont les parties tranchantes étaient taillées dans l'obsidienne,
un verre volcanique extrêmement coupant.
Plus efficace que celui des chasseurs-cueilleurs nomades, ce nouveau
mode de subsistance s'est accompagné d'une complexification de la vie
sociale. D’où l’apparition dès le VIIIe millénaire d’une
classe d’artisans spécialisés dans la réalisation d'objets de prestige
dans ce matériau fragile qu'est l'obsidienne.
C'est du moins ce que suggère le fragment de bracelet d'Asikli Höyük,
qui révèle la grande habileté de ces artisans. Circulaire, d'un
diamètre intérieur d'environ dix centimètres, le bracelet était enrichi
d'une arête sur sa face extérieure (voir la figure ci-contre).
Son créateur l'a probablement obtenu en quatre étapes successives.
D'abord, un bloc contenant le volume occupé par le bracelet, soit 315
centimètres cubes, a été débité. Ensuite, la partie centrale a été
évidée, peut-être par forage à l'aide d'un moyen mécanique, telle une
chignole à arc. Puis la forme du bracelet a été dégagée par un piquetage
prudent pour ne pas briser le matériau. Enfin, la forme obtenue a été
polie, d'abord de façon grossière pour faire disparaître les traces de
piquetage, puis pour obtenir une surface brillante.
Et avec quelle finesse ! Grâce à des techniques de caractérisation de
la rugosité des surfaces, initialement développées pour l'industrie,
les chercheurs ont montré qu'aucune aspérité ne dépasse de plus d'un
dixième de micromètre. Pareil résultat ne se compare qu'à ceux des
meilleurs usinages numériques actuels. La qualité du poli était sans
doute appréciée à l'œil nu par ses artisans.
Et avec quelle finesse ! Grâce à des techniques de caractérisation de
la rugosité des surfaces, initialement développées pour l'industrie,
les chercheurs ont montré qu'aucune aspérité ne dépasse de plus d'un
dixième de micromètre. Pareil résultat ne se compare qu'à ceux des
meilleurs usinages numériques actuels. La qualité du poli était sans
doute appréciée à l'œil nu par ses artisans.
Plus étonnant encore, ce polissage n'a pas empêché l’artisan de
maîtriser la forme du bracelet
avec une précision inattendue au VIIIe
millénaire avant notre ère : la forme de l'arête est symétrique à un
degré d'angle près… Cela suggère l'emploi d'une machine à polir, mais il
n'en est rien : les orientations croisées des stries résultant du
polissage à l'aide d'une série de pierres de moins en moins rugueuses
prouvent que le polissage a été réalisé à la main. Les artisans
disposaient sûrement de moyens sophistiqués de mesure leur permettant de
vérifier au cours du façonnage la convergence vers la forme recherchée.
Toutefois, en vrais artisans, ils ont aussi rectifié un défaut
ponctuel, sans doute dû au piquetage.
Une telle maîtrise de l'« usinage » (par piquetage) et du polissage
est stupéfiante, si l'on songe qu'elle remonte à presque 10 000 ans.
Elle suggère l’existence dès le VIIIe millénaire d'une classe
d'artisans spécialisés dans le façonnage d’objets de prestige en
obsidienne, vouée à satisfaire les besoins d'ostentation des riches
membres de la culture d'Asikli Höyük.
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